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La meilleur fuzz du monde : la Tonebender

La Tonebender est incontestablement ma fuzz vintage préférée. J’entends par là que chacune des quatre grandes variantes de l’effet qui porte le nom Tonebender sont mes fuzz préférées. Comme la Big Muff Pi, la Tonebender a évolué au fil du temps, passant d’une révision (appelée Mark, ou MK) à une autre, sans pour autant changer de nom, fut revendue à d’autres marques et copiée par des fabricants peu scrupuleux. Je vous propose aujourd’hui un tour d’horizon de ce qui me plaît le plus dans ces fuzz tout en retraçant leur histoire au travers des quatre variations du circuit.

1. La naissance de la Tonebender

L’invention de la Tonebender revient à Gary Hurst, ingénieur et technicien de réparation d’amplificateurs anglais, qui travaillait à l’époque pour Vox. Thomas Jennings, co-fondateur de la marque d’ampli, lui propose de retourner travailler à Londres sur les orgues de la marque italienne Elka, ce qu’il fera, avant de rejoindre le magasin Musical Exchange de Larry Macari en 1965. On dit que le guitariste de session Vic Flick aurait alors demandé à Gary Hurst de modifier sa Maestro Fuzztone pour que les notes durent plus longtemps lorsqu’elles étaient tenues par le guitariste. Au lieu de ça, Hurst lui aurait rendu une pédale de son invention : la toute première Tonebender.

Que cette histoire soit vraie ou fausse, on sait que le produit a eu un succès immédiat, et on sait que des groupes comme The Yardbirds, The Animals ou The Beatles ont utilisé l’effet. C’est ça, LE son qui définira la fuzz anglaise et marquera cette époque. Les premiers boîtiers étaient en bois à l’origine, avant de passer en métal, et fonctionnaient avec des transistors au germanium, les seuls réellement disponibles à l’époque, et désormais prisés pour leur son unique et difficilement reproductible par d’autres composants. Le son est gras, lourd, avec un sustain exceptionnel comparable à celui d’une Big Muff. Une variante fabriquée par John Hornby Skewes, la Zonk Machine, utilise un deuxième transistor au silicium plutôt qu’au germanium.

2. La version secrète

Dès 1965, on voit apparaître les premières versions de la nouvelle Tonebender dans un boîtier en métal. Alors que celle qui deviendra la MK I est en bois puis en boîtier plié, le boîtier est cette fois-ci moulé. Le circuit est modifié pour se rapprocher de celui d’un récepteur radio basique, et il n’y a plus que deux transistors au lieu de trois. Produite uniquement un an, et en très petite quantité, cette Tonebender sera appelée MK I.V (lire 1.5) car elle se situe chronologiquement entre la première et la deuxième version découverte. Pourtant, c’est elle qui servira de base à Dallas-Arbiter pour leur fameuse pédale ronde, la Fuzz Face, qui connaîtra ses propres évolutions.

Le son est cette fois-ci moins rugueux et plus propre que sur la première version. Surtout, c’est la seule Tonebender à avoir une capacité désormais très recherchée : la possibilité de passer d’un son légèrement crunch à une énorme saturation, uniquement en jouant avec le réglage de volume de la guitare ! On laisse alors la pédale avec le réglage de fuzz à fond, et c’est la guitare qui viendra « clean-up » sous l’action du potentiomètre de volume. A mon sens, c’est d’ailleurs le facteur différenciant des meilleurs fuzz. Hendrix utilise la Fuzz Face pour mettre à genou ses amplis Marshall et les pousser dans leurs derniers retranchements.

3. Une pédale professionnelle

Dès 1966, la Tonebender évolue en une version MK II estampillée « Professional » - sans pour autant que les versions précédentes n’aient été faîtes pour des amateurs. Le circuit reprend globalement la version intermédiaire, en ajoutant un troisième transistor qui vient saturer le circuit existant. Certaines MK I.V sont alors transformées en MK II, et le circuit est même repris chez Marshall sous le nom Supafuzz, chez RotoSound, Vox ou encore Elka. Sur le plan sonore, la MK II ayant un étage de gain de plus saturera plus loin que la MK I.V et la MK I, et aura un son particulièrement prononcé dans les mediums, presque vocal, ce qui plaira beaucoup à un certain Jimmy Page qui possédait déjà une MK I. Il utilisera finalement la MK II sur la plupart des morceaux de Led Zeppelin. C’est également ma variante préférée avec la toute première.

4. Jamais deux sans trois

La Tonebender évolue encore à la fin des années 60 avec l’ajout d’un réglage de tonalité basse/aigu et un nouveau circuit pensé pour stabiliser les transistors au germanium, qui sont très sensibles à la température et assez difficiles à utiliser proprement. En effet, la technologie étant ancienne, il faut trier manuellement les transistors afin de ne conserver que ceux qui donnent le meilleur son, et les autres sont relégués à la benne. Cette version a le plus de gain des quatre, et on sait que Paul McCartney et Jimmy Page l’ont utilisée. Plus récemment, on la retrouve également chez Little Barrie. Le réglage de tonalité fonctionne à l’envers, avec le maximum d’aigu à gauche (treble) et de basse à droite (bass), peut-être un clin d’œil au nom de la pédale ? Tone Bender, T/B, Treble/Bass… C’est finalement presque logique ! Ce réglage a d’ailleurs tendance à creuser les basses à la façon d’une Big Muff. La MK III est donc idéale pour ceux qui veulent jouer du David Gilmour sans aimer la Big Muff.

5. Du silicium à nos jours

Au début des années 70, les transistors au silicium sont largement démocratisés. Moins coûteux que leurs grands frères au germanium, ils sont bien plus stables à la température et ne nécessitent plus d’être triés. C’est donc tout naturellement que la Tonebender MK III évoluera en MK IV, avec pour seule vraie différence l’utilisation de transistors au silicium, qui donnera un son encore plus tranchant à l’effet. La Tonebender existera également en version « Supa » avec un circuit basé sur la Big Muff Pi « Ram’s Head », modifiée ensuite en version Jumbo, puis sera rééditée dans les années 1990 avec parfois même un circuit basé sur un amplificateur opérationnel. De nos jours, l’équipe de Macari’s Musical Instruments continue de commercialiser la Tonebender en hommage aux versions vintage dont seul le prix égale la beauté.

Comment faire pour se procurer une Tonebender de nos jours ? Si vous cherchez une originale, il vous faudra certainement débourser un petit millier d’euros pour espérer récupérer un modèle fonctionnel sur Ebay ou Reverb, tout en slalomant entre les escrocs qui ne vous enverront rien. Il est également possible de commander une pédale chez Macari, mais entre le tarif élevé, le cours de la livre Sterling et les taxes d’importation dûes au Brexit, cela revient au même. En plus, il faut repasser au comptoir pour chaque révision de l’effet, comment savoir laquelle est faîte pour nous ?

Vous l’aurez compris, je suis absolument fan des Tonebenders, chacune ayant son caractère propre. C’est donc avant tout une quête personnelle que de retrouver toutes ces couleurs sonores ! A partir d’un prototype utilisant des transistors au germanium d’époque sélectionnés, j’ai reproduit chaque révision avec des transistors au silicium dans la seule pédale qui réunit les quatre circuits de cette fuzz : la All-Bender. Le circuit est particulièrement travaillé pour conserver ce timbre vintage sans les inconvénients du germanium : sensibilité à la température, à l’alimentation, niveau de bruit élevé, composants chers et capricieux... En bonus, chaque révision peut clean-up au volume de la guitare. Pari réussi ? A vous de me le dire !

Posté dans: Effet de saturation, Fuzz

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